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C’est un grand classique auquel les nouvelles autorités n’ont pas dérogé : à chaque changement de régime au Sénégal, un plan économique « ambitieux » est présenté. A un mois des législatives anticipées du 17 novembre et six mois après son élection à la présidentielle, le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, et son premier ministre, Ousmane Sonko, ont dévoilé lundi 14 octobre un programme pour « faire du Sénégal, un pays souverain, prospère et juste », baptisé « Sénégal 2050 ».
Douze ans plus tôt, l’ancien président, Macky Sall, lançait son plan « Sénégal émergent », s’inscrivant lui-même dans la droite ligne de l’ex-président, Abdoulaye Wade, et sa « stratégie de croissance accélérée » lancée après son élection, en 2000.
Comme ses prédécesseurs avant lui, le nouvel exécutif a multiplié les objectifs chiffrés pour les vingt-cinq ans à venir : tripler le PIB par habitant pour l’établir à 4 500 dollars (environ 4 130 euros) ou encore réduire le taux de pauvreté à 10 % de la population, alors que près de quatre Sénégalais sur dix survivent avec moins de 1 012 francs CFA (quelque 1,5 euro) par jour, d’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).
Face à cet horizon aussi lointain qu’incertain, le nouvel exécutif a d’abord fixé un cap pour 2029 : une croissance « attendue de 6,5 % » pour ramener le déficit budgétaire abyssal de 10,4 % à 3 % du PIB, tout en promettant d’imposer des personnes qui ne l’étaient pas jusqu’à présent.
Chantre de la lutte contre la corruption, le duo au pouvoir a commencé par établir un constat accablant de la gestion des précédentes autorités. Trois semaines après avoir livré une violente charge contre le régime de l’ancien président, Macky Sall, l’accusant de « corruption généralisée » et d’avoir masqué l’ampleur de la dégradation des comptes publics, M. Sonko a pointé « les mauvaises gouvernances depuis l’indépendance ».
« Notre modèle ne crée pas de valeur. Mais on peut prendre une nouvelle trajectoire », a-t-il expliqué devant le parterre de responsables nationaux et de diplomates étrangers présents au palais des congrès de Diamniadio, en banlieue de Dakar.
Le nouvel exécutif a présenté les grands axes de sa stratégie pour briser le « cercle vicieux de [sa] dépendance et de [son] sous-développement », selon M. Sonko. L’économie du pays est « prisonnière d’un modèle d’exploitation de matières premières brutes sans valorisation ni transformations locales », a renchéri Bassirou Diomaye Faye.
Pour rompre avec ce modèle, les nouvelles autorités proposent une décentralisation de l’économie. « La Casamance, au sud, doit être le grenier agricole. La région de Matam, au nord, doit être productrice d’engrais car les phosphates y sont abondants mais largement sous-exploités », détaille l’économiste Ousmane Birame Sane, ancien directeur de la Bourse régionale des affaires mobilières.
Selon les prévisions du gouvernement, 27 milliards d’euros doivent financer ce plan d’aménagement jusqu’en 2029. Pas de quoi lever les interrogations et les inconnues, ni rassurer des investisseurs inquiets des mauvais signaux de l’économie sénégalaise. Après que le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse, en septembre, l’ensemble de ses indicateurs pour le Sénégal, l’arrivée au pouvoir des nouvelles autorités a coïncidé avec des pressions fiscales et douanières accrues.
« Ces dirigeants sont déconnectés des opérateurs économiques. Ils ne nous ont pas consultés. Il n’y a rien de nouveau dans leur plan », dénonce Youssef Omaïs, directeur de Patisen, l’un des rares fleurons de l’agroalimentaire au Sénégal. « Où est l’attractivité de la marque Sénégal dans leur plan ?, s’interroge un autre dirigeant d’un groupe industriel qui a préféré l’anonymat par crainte de représailles fiscales. Il y a urgence car les indices réels de l’économie sont au rouge », à l’instar de la notation financière du Sénégal, rétrogradée début octobre par l’agence Moody’s de Ba3 à B1.
Les nouvelles autorités ont aussi passé sous silence, lundi, le poids des hydrocarbures dans l’économie nationale. Quelle sera leur place alors que le Sénégal est devenu producteur de pétrole et doit en exporter 100 000 barils par jour ? A un mois des élections législatives, la redistribution des revenus des hydrocarbures reste un sujet de discorde autant pour des électeurs soucieux de voir leur facture d’électricité baisser que pour les compagnies pétrolières étrangères, préoccupées par un retour rapide sur investissement et embarquées dans une renégociation incertaine de leurs contrats avec le nouveau pouvoir.
« Le problème est qu’on se focalise sur la bonne gouvernance politique sans faire le bilan de la gouvernance économique, analyse Ahmadou Aly Mbaye, professeur d’économie et de politiques publiques à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar. La transformation structurelle promise vers une économie manufacturière n’est pas évidente car nos dirigeants vont buter sur un paradoxe : la main-d’œuvre au Sénégal est abondante mais son coût réel est l’un des plus élevés au monde. Tous les précédents gouvernements se sont heurtés à cette réalité : l’économie du Sénégal est une économie de rente. L’arrivée du pétrole risque d’aggraver la maîtrise des salaires. Comme tous les pays producteurs de pétrole avant lui, le Sénégal est menacé par un mal bien connu : celui qui conduit le secteur pétrolier à tuer tous les autres. »
Face aux attentes grandissantes sur le pétrole et le pouvoir d’achat, Ousmane Sonko a exhorté les Sénégalais à la « patience », semblant déjà anticiper des critiques à un mois des élections législatives.
Abbas Asamaan (Dakar, correspondance)
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